Vous avez décidé d’arrêter de fumer. C’est bien. Les gens qui ne fument pas sont mieux que les gens qui fument. Les gens qui fument sont tous laids, idiots, fainéants et, pour la plupart, pédophiles. Fumer est une incomparable abomination. Fumer c’est le mal en puissance, c’est beaucoup plus grave que de frapper sa femme ou que de violer sa propre mère.
Fumer provoque le cancer, des maladies cardio-vasculaires et l’impuissance, ce qui veut dire que même si vous trouvez une femme d’accord pour coucher avec un cancéreux en phase terminale et que vous ne faites pas une crise cardiaque quand elle se déshabille devant vous, de toute manière vous n’arriverez rien à faire avec elle. Fumer est très dangereux pour les bébés des femmes enceintes, pour les bébés des voisines enceintes, pour les voisins des bébés des femmes enceintes, pour les bébés voisins des bébés des femmes enceintes du voisin, et en général pour tout ce qui est bébé ou enceinte dans un rayon de soixante-dix kilomètres. Fumer c’est comme s’enfoncer des clous dans le cerveau sauf que c’est moins agréable. Fumer rend le regard terne et les doigts gris, ou l’inverse selon les cas. Fumer est tellement horrible qu’on se demande vraiment pourquoi tant de gens le font, et pourquoi tant de gens n’ont pas envie d’arrêter. Mais vous, oui. Vous avez décidé de quitter ce rang ignominieux des fumeurs pour redevenir quelqu’un de bien et de respectable. Soyez béni !
Evidemment, s’arrêter de fumer n’est pas une mince affaire. Rares sont ceux qui y arrivent du premier coup, et c’est tant mieux car si s’arrêter de fumer devenait subitement facile, c’est tout un pan de l’industrie pharmaceutique qui s’effondrerait du jour au lendemain. Et nous ne parlons même pas du monde de l’édition, qui serait irrémédiablement sinistré. — Le jour où il n’y aura plus un seul fumeur, on connaît des laboratoires qui n’auront plus qu’à se mettre le feu eux-mêmes pour toucher l’assurance. Comme cette perspective n’est pas pour nous déplaire, Le Never Trust, membre éminent mais discret de la Ligue des Tempérants Anonymes, a décidé de vous livrer quelques conseils afin de vous aider à en finir avec la cigarette.
Toute personne désirant des renseignements plus construits est priée de se confier à son médecin traitant, qui ne manquera pas de la diriger vers la pharmacie de son quartier, où lui sera remise une brochure et où la pharmacienne essayera au passage de lui vendre des masques anti-H1N1. Vous pouvez également appeler Tabac Info Service, (très cher / la minute).
PREMIERE ETAPE — ARRETER.
C’est inévitable : si vous ne voulez plus fumer, il va donc falloir arrêter de le faire. Rappelons par ailleurs cette règle inconditionnelle à l’arrêt du tabac : il est inutile d’arrêter de fumer si vous êtes non-fumeur. Il convient de le préciser, tant nous avons vu des personnes se mettre à fumer uniquement pour arrêter ensuite, et ainsi se rendre intéressante aux yeux de leur entourage. Car arrêter de fumer est nettement plus gratifiant que ne pas fumer du tout. Faites l’expérience : quand une inconnue vous propose une cigarette, répondez-lui d’un ton poli : « non merci, je ne fume pas. » Elle vous fera un petit sourire et ôtera son paquet de vos yeux. Maintenant, dans la même situation, répondez-lui : « non merci, j’ai arrêté. » Elle ne manquera pas de vous exprimer son admiration et son soutien, refusera elle-même d’allumer sa cigarette devant vous par signe de respect, se montrera fort sympathique à votre égard et sera probablement plus ouverte à l’idée de coucher avec vous en fin de soirée. Aussi nous invitons tous les non-fumeurs à toujours se présenter comme des fumeurs repentis, même s’ils n’ont jamais touché une seule cigarette de leur existence.
Arrêter de fumer est un moment décisif : planifiez le jour et l’heure, réglez votre montre sur l’horloge automatique si besoin est. Votre toute dernière cigarette doit apparaître comme un rituel de renoncement : nous vous conseillons donc de la fumer nu, le corps entièrement recouvert de terre glaise, au milieu d’un cercle vaudou tracé à l’aide de sang de poulet fraîchement égorgé, tout en chantant des incantations s’adressant au Baron Samedi. Si après cela vous avez envie de fumer une autre cigarette, c’est que franchement vous êtes gonflé !
DEUXIEME ETAPE — LE MANQUE.
Ne vous faîtes pas d’illusion : la cigarette va vous manquer. Peut-être pas autant que Jacques Chirac, mais beaucoup quand même. On compare souvent l’arrêt de la cigarette à un deuil et ce n’est pas faux, puisque dans les deux cas c’est un feu qui nous manque.
Le manque peut se manifester de bien des manières différentes : tremblements, nausées, problèmes gastriques, diarrhées, constipation, vertiges, éruptions cutanées, fièvres soudaines, évanouissements, syndrome de Tourette, tentations incestueuses, perte totale et irrémédiable de la raison, coma ou combustion spontanée. — Précisons toutefois que dans l’immense majorité des cas, quoiqu’en disent les médecins qui ont quelque chose à vous vendre, le manque se manifeste surtout par une grosse envie de fumer, et puis c’est tout.
Comment contrecarrer le manque ? La meilleure des méthodes est encore de s’allumer une cigarette et de se dire qu’on arrêtera de fumer l’année prochaine. Cette technique est imparable : cent pour cent des abstinents interrogés ont observé que la sensation de manque disparaissait en l’espace de quelques minutes dés lors qu’ils recommençaient à fumer.
Autrement, on peut se rabattre sur les patches ou les gommes à la nicotine que toute bonne pharmacie propose sur ses rayonnages à des prix prohibitifs. Ces produits présentent l’avantage incontestable de vous maintenir dépendant à la nicotine SANS vous apporter le plaisir que l’on éprouve à fumer une cigarette. Alors qu’il faut entre trois et dix jours pour que l’organisme soit nettoyé de sa dépendance physique à la nicotine, les substituts vous permettront de maintenir cet état d’addiction sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois ou plusieurs années selon les cas. Vous dépenserez beaucoup plus en les achetant qu’en achetant des cigarettes, certes, cependant votre argent n’ira plus enrichir de méchants producteurs de tabac mais de très gentilles compagnies pharmaceutiques dont la philanthropie n’est plus à démontrer.
L’alcool est également une bonne manière de contrer le manque lié à l’arrêt du tabac. C’est probablement la raison pour laquelle les campagnes de prévention de santé publique mettent beaucoup plus l’accent sur les dangers de la cigarette que sur celui d’une consommation abusive de vin, de bière, de pastis ou d’autres réjouissances cirrhoséennes. Le message ne manque pas de clarté : mieux vaut être alcoolique que fumeur. D’ailleurs, Christian Blanc a dû démissionner pour des affaires de cigare, alors que la carrière politique de Jean-Louis Borloo ne souffre, elle, d’aucun accroc notoire!
A noter que certaines philosophies préconisent de combattre le mal par le mal, suivant l’adage « si tu as mal à la tête, met un caillou dans ta chaussure ». Ainsi, vous pouvez par exemple prendre le parti de vous couper le petit orteil. Vous verrez qu’il vous manquera nettement plus que la cigarette. Vincent Van Gogh avait pour sa part jugé que la perte d’une oreille pourrait l’aider à arrêter de fumer la pipe. L’honnêteté nous pousse à démontrer que cette méthode se solda par un échec :
L’une des dernières méthodes concernant le manque et la façon de le braver est de faire avec. Ce n’est pas agréable, c’est certain, mais l’enseignement de Notre Seigneur Jésus Christ n’est-il pas que la vie n’est pas censée être agréable et que nous vivons tous dans le but de nous punir d’un crime que nous n’avons jamais commis ? Et ne venez pas me dire que l’hostie n’est jamais que l’équivalent eucharistique d’une gomme Nicorette. On n’est pas ici pour faire dans le mécréance gratuite.
Toujours est-il que le manque, qui sera inévitable, vous amènera au problème numéro un que rencontrent à peu près toutes les personnes qui décident d’arrêter de fumer :
TROISIEME ETAPE — L’IRRITABILITÉ.
Fumeur, vous étiez un être amène, toujours souriant, adorable avec les enfants comme avec les chiens, charmeur, charmant, ouvert et tolérant. Non-fumeur, vous êtes devenu un être désagréable, faisant la gueule sans discontinuer, méchant avec les chiards comme avec les clebs, malotru, repoussant, étroit d’esprit et frontiste tendance Gollnisch. C’est à cause de l’irritabilité.
D’où provient cette irritabilité ? Du fait que fumer c’est bon, très bon, incroyablement bon, surtout après manger, ou avec le café, ou en appréciant une bonne bière, ou en écrivant un article pour un blog humoristique. Et que vous, pauvre con que vous êtes, vous vous privez de ce plaisir infini pour de sordides raisons de santé alors que de toute manière l’Iran va nous balancer une bombe sur la tête dans moins de dix ans et que le réchauffement climatique se chargera d’éliminer les rescapés. Alors forcément, ça irrite.
Il convient de se montrer rassurant : l’irritabilité n’est pas agréable à vivre, ni pour vous, ni pour les autres. Mais elle disparaît rapidement, pour laisser place à une profonde tristesse, un grand vide existentiel et enfin une farouche envie de mourir. C’est déjà nettement mieux. Puis cet état d’esprit s’estompe à son tour et vous redevenez comme vous étiez avant, l’haleine de chacal et les vêtements puant la mine de charbon en moins.
Cependant, la période d’irritabilité demeure la grosse étape à surmonter. Pour cela, sachez prendre sur vous. Si votre compagne vous fait une remarque concernant les chaussettes que vous avez tendance à laisser traîner par terre, respirez un grand coup, buvez un verre d’eau fraîche, puis frappez-la sauvagement avec la lampe de chevet de la table de nuit, ou directement avec la table de nuit si elle n’est pas trop lourde. Ainsi, elle saura à l’avenir prendre en compte votre petite nervosité passagère et vous épargnera avec gentillesse des remarques désobligeantes.
Si vos enfants ont tendance à courir entre vos jambes et à poser des questions compliquées comme, par exemple : « Papa, c’est quoi la physique quantique ? et pourquoi t’as des tas de poils qui sortent des narines ? », sachez prendre l’innocence de leurs esprits simples avec humour et jetez-les par la fenêtre en riant de bon coeur.
Si vous vous en tenez à nos recommandations, vous verrez que ce phénomène d’irritabilité passera assez vite et que vous saurez vous montrer de nouveau fort agréable et courtois vis-à-vis de vos sympathiques compagnons de cellule !
Naturellement, vous pouvez également prendre le parti d’essayer de ne rien faire et de ne rien dire, de serrer les dents, de gueuler un peu de temps en temps, d’aller taper sur les coussins ou d’envoyer s’écraser votre téléphone portable sur les murs quand il sonne trop fort en attendant que vos nerfs reprennent forme humaine. C’est tout aussi efficace, mais avec des méthodes pareilles ne venez pas vous plaindre de ne jamais passer à la télévision.
Une fois le manque surmonté, l’abstinence prend son rythme de croisière. De plus en plus aisée à vivre, elle devient une part intégrante de vous même. La nervosité s’estompe, les souvenirs de la cigarette et les regrets aussi. Pour autant, il reste un dernier écueil à éviter :
QUATRIEME ETAPE — LA RECHUTE.
Après une longue période d’abstinence, refumer une cigarette c’est céder à la nostalgie, tenter de rattraper une période révolue qui nous manque à bien des égards. C’est un peu comme recoucher avec une ancienne amante, ou se remettre à téter les seins de sa mère. C’est un truc de malade, quoi.
La situation est classique : voilà un ou deux ans que vous n’avez plus fumé. Vous vous dîtes alors que vous ne retomberez pas dans la dépendance. Un ami fume une cigarette à vos côtés, vous lui demandez si vous pouvez tirer une bouffée dessus, il accepte, vous serrez vos lèvres sur le filtre, vous aspirez, et là le Démon prend possession de vos sens, la fumée vous ligote sur l’autel infernal du besoin et du vice, votre corps se dérobe à la raison, vos yeux s’injectent de sang, oui vous cédez de nouveau au MAL, oui le Méphistophélès des temps modernes mugit ses obscénités dans chacun des atomes qui constituent votre être, et vous cessez d’exister, et vous n’êtes plus rien, vous vous liquéfiez tel une statue de sable qu’un vent désespéré balaye de la surface de la Terre, vous devenez flasque, vous devenez flaque, immonde d’immondice, profondément trahi, déshumanisé, aliéné, vous voici monstrueux, créature inconsistante aux reflets tératogènes, vous voici fumeur à nouveau, paria des plaisirs que vous offraient le pardon, croqueur de pomme aux mains sanglantes, voué à l’éternelle damnation des incongrus Enfers.
C’est pourquoi nous vous recommandons d’essayer de ne pas refumer.
En vous souhaitant bon courage et bonne chance, Le Never Trust espère que ces quelques recommandations sauront aider les fumeurs désireux d’en finir avec la cigarette, voire les y inciter mieux que les messages de prévention anti-tabac dont l’inanité intellectuelle et la médiocrité laissent à penser qu’ils ne sont pas conçus par le Ministère de la Santé, mais par les producteurs de tabac eux-mêmes !
Publié à l’origine sur le blog nevertrust.over-blog.com