Mais que s’est-il passé à Carcassone ? Voici des gens tout heureux d’aller visiter une caserne de parachutistes en une belle journée ensoleillée et à la fin de l’après-midi dix-sept d’entre-eux se voient également offrir une visite gratuite du pittoresque hopital de la ville…
Il semble évidemment inconcevable qu’un militaire puisse, ô mon Dieu, ouvrir le feu sur des civils. Dés lors l’opinion publique s’émeut et se demande s’il va falloir assister aux festivités militaires du 14 juillet équipé d’un gilet pare-balles.
Les autoristés militaires l’affirment : pour le moment, l’enquête privilégie « à 99 % » la thèse de l’accident. Qu’un militaire de carrière puisse accidentellement tirer à balles réelles sur des femmes et des enfants est bien entendu extrèmement rassurant, mais que cela ne nous empêche pas d’émettre d’autres hypothèses. En particulier concernant les 1 % de suppositions qui demeurent. Il est important, ce 1 %. C’est dans celui-ci que se nichent les torturés de la Guerre d’Algérie, les répressions sanglantes de manifestations de civils en côte d’ivoire, les victimes des essais nucléaires de Mururoa, etc.
De par sa faculté à émettre des théories et des historiettes édifiantes pour justifier les conséquences désastreuses de ses exactions, l’Armée mérite sans aucun doute son sobriquet de « Grande bluette ».
Interrogé par nos soins, un général qui tient à garder l’anonymat par crainte d’être affecté en Afghanistan nous l’affirme : « depuis trente ans, la majorité des zones d’action de l’Armée française se situe soit dans des pays africains, soit dans des pays arabes. De fait, nos hommes ont perdu depuis longtemps l’habitude d’utiliser des balles à Blancs. »
Mais que s’est-il passé dans la tête de l’homme qui a ouvert le feu ? Etait-il en pleine crise de somnambulisme ? Ou pressé d’étrenner la toute nouvelle mitrailleuse que l’on venait de lui offrir pour son anniversaire ? Avait-il conclu un pari avec ses camarades ? Avait-il cru entrevoir parmi la foule des terroristes islamistes déguisés en braves citoyens français ? Ou, d’une façon plus crédible, souffrait-il d’une crise de délirium tremens qui l’a amené à dégommer quelques visiteurs en croyant tirer sur des araignées et des lézards géants ?
L’homme qui a ainsi blessé dix-sept personnes a été mis en garde à vue. C’est injuste. Il est bon de savoir que nous comptons parmi les rangs de notre brillante armée un militaire capable de faire autant de dégâts en aussi peu de temps. Si les troupes que nous avons envoyé combattre les talibans étaient aussi efficaces, la guérilla afghane ne serait plus qu’un mauvais souvenir depuis au moins deux ans et les consommateurs de cocaïne pourraient bénéficier de tarifs avantageux qui compenseraient la hausse du prix du pétrole et s’avèreraient fort bénéfiques à leur pouvoir d’achat.
Il faut en effet voir le bon côté des choses. Après tout, on parle rarement de Carcassone dans les actualités, et aujourd’hui, grâce à ses dix-sept touristes aux genoux explosés, la cité fait la une de tous les journaux de France. Elle était jusqu’ici célèbre pour ses remparts, la voici à présent célèbre pour ses rampants.
Que reproche-t’on exactement à l’Armée ? Voici une foule de braves gens désireux de connaître le fonctionnement de cette institution et se pressant en masse à une journées portes ouvertes dans une caserne. Quelle meilleure démonstration pouvait-on leur faire de notre grande efficacité que de leur tirer dessus et d’en coller dix-sept sur le carreau ?
Il est de bon ton de s’extasier sur les gros navions, les jolis tanks, les armes automatiques et le matériel sophistiqué dont dispose nos militaires, mais il aurait été dommage que le public perde de vue la finalité dernière de tout cet armement reluisant.
Que celui-ci réalise peut-être, enfin, que les armes c’est très joli tant que l’on se trouve du bon côté du canon.
Publié à l’origine sur le blog nevertrust.over-blog.com