Encore une fois, les mêmes indignations, les mêmes « Je ne suis plus Charlie », la fachosphère se déchaîne, la gauche se tortille en se bouchant le nez, les « Quand même ils vont un peu trop loin » sont de sortie, et l’on comprend mieux pourquoi les manuels scolaires sont envahis par les dessins de Plantu plutôt que de Reiser ou de Cabu.
Ils ont hurlé après le « si près du but » du petit Aylan, ils croient voir le Prophète chaque fois que Riss dessine un barbu, ils trouvent honteux que l’on puisse rire de la mort, de la souffrance, de la guerre, et considèrent qu’après tout la liberté d’expression devrait avoir ses limites. « On peut rire de tout, mais… »
Bien sûr, c’est nettement plus facile de se battre pour la censure d’un journal que pour la fin des hostilités en Syrie. Nettement plus simple de hurler au racisme que de regarder en face l’extrémisme ou le radicalisme religieux. Et nettement plus compliqué de lutter contre l’insupportable que contre ceux qui prétendent nous faire rire avec. Malgré tout. Parce que merde.
Ils sont vilains, ces dessins qui nous rappellent qu’un like sur Facebook ne comble pas notre impuissance. Qui nous renvoient au caractère éphémère de nos indignations consuméristes. Le petit Aylan ? Oublié. Un autre gamin fait déjà la une, en sang, mais cela prend moins, on s’est habitué. La mort continue, malgré les pleurs et les violons.
La question n’a jamais été d’être ou de ne pas être Charlie. La question est d’être, ou non, un enfant qui a peur de petits dessins. L’humour est le miroir déformant d’une réalité mille fois pire. Il est encore la seule chose qui peut, l’espace d’un instant, donner du sens à tout cela.
Mais ce n’est pas aussi confortable qu’un smiley triste, qu’un commentaire affligé, qu’une obole versée en détournant la tête, qu’une prière adressée à un Dieu qui n’existe pas. Alors autant convoquer, à chaque fois, et de plus en plus fort, les pompiers pyromanes.
Il sera toujours temps de s’interroger plus tard, lorsque c’est à notre porte, à notre tour, qu’ils viendront frapper.