La Dette Nationale n’en finit plus de faire débat. La chose est entendue, aussi déplorable soit-elle : ce sont nos enfants, voire nos petits-enfants, qui devront l’éponger, la Dette Nationale.
Moi je m’en fiche, des enfants je n’en ai pas, et sauf étrangeté de la nature je n’aurais donc pas non plus de petits-enfants. Mais tout de même, la Dette, elle pèse sur notre moral. C’est pour cela que les gens se ruinent en parcs d’attraction, peluches grandeur nature, sorties ciné-Disney et barres chocolatées qui font grossir : c’est pour se faire excuser par avance de léguer une dette aussi faramineuse à de braves enfants qui n’ont rien demandé à personne. Se faire pardonner ça, et tout le reste. Faire de l’enfance un paradis artificiel tant le monde des adultes est un implacable enfer. Bien entendu, il serait certainement mieux, pour le bien-être de ceux que nous faisons pousser sur Terre, de réformer la société de fond en comble afin de la rendre plus, et mieux, vivable. De faire un vrai travail de fond plutôt que de basses tâches rustinières. Mais ça, forcément, c’est beaucoup plus compliqué. Alors bon. Faute de mieux, et puisque le monde est pourri, autant gâter nos enfants avant que de les lui confier.
Bref, la Dette. Des milliards et des milliards d’euros. Avec les intérêts, en prime. Et ce sont nos enfants qui vont devoir l’éponger, la Dette. Et vous croyez qu’ils vont le faire ? Bien sûr que non. Pourquoi le feraient-ils ? Pourquoi payeraient-ils pour un train de vie dont ils n’auront presque jamais profité ? Cette manie que nous avons de prendre nos propres enfants pour des vaches à lait relève du cannibalisme.
Alors, que nous reste t-il comme solution, face à la Dette ? Le terme même de Dette est devenu terrible, terrifiant. On parle de la Dette comme on parlait de la Peste ou de la Lèpre. Bientôt, nos anciens ministres des finances, qui constituent à eux tous seuls un bataillon entier, devront se promener avec une lourde capuche sur la tête et une petite clochette au bout des doigts. « Vous aggravez la Dette ! » se lancent les politiciens, de quelque bord qu’ils soient. L’Opposition reprochera toujours à la Majorité d’aggraver la Dette. Le mot claque, il semble imparable. Comme si l’on pouvait aggraver quelque chose d’aussi grave. A ce point là, on n’aggrave plus rien : on nourrit. Tout comme les généraux de la Grande Guerre nourrissait les batailles en envoyant vers une mort certaine de jeunes recrues élevées pour cela. Ils n’avaient pas le sentiment d’aggraver quoi que ce soit, ils faisaient juste leur travail. Ils savaient de toute manière que la Guerre se gagnerait sans eux. Demander à un gouvernement de résorber la Dette, cela revient à demander à un armurier de fabriquer de la paix.
Avec un peu de chance, Yann Arthus-Bertrand a raison. Avec un peu de chance, l’humanité est sur le déclin. Elle va périr, étranglée par son propre goût du luxe, contredite dans sa foi profonde en un monde créé par Dieu pour ceux qui furent faits à son image. La Terre va rappeler aux hommes que les arbres ne croient pas en Dieu, pas plus que la couche d’ozone ou les baleines bleues. Et l’homme, autrement dit les quelques survivants de l’imminente apocalypse laïque que nos scientifiques ont élaboré avec autant de soin que d’aveuglement, vivra dans une précarité exemplaire. Sous terre, peut-être. Quelque chose dans ce genre-là. Et à ce moment-là, la Dette, quelle importance aura t-elle encore ? Qui peut se soucier de l’ardoise si nous revenons à l’âge de pierre ?
Oui, c’est la première solution envisageable : pour nous sortir de la Dette, on peut encore espérer la Fin du Monde. Nicolas Sarkozy l’a bien compris, lui qui ne fait rien d’autre que des discours pour nous l’éviter. Et avec des adversaires comme un photographe aérien financé par Pinault-Printemps-Redoute ou un animateur de télévision sponsorisé par Rhône-Poulenc, elle n’a pas beaucoup de soucis à se faire, la Fin du Monde. Autant l’inviter tout de suite en visite diplomatique et lui dresser des tentes dans la cour du palais de l’Elysée. A moins que cela n’ait déjà été fait.
Mais parfois les gens se trompent. Ce serait triste, je vous l’accorde, mais si la Fin du Monde se faisait attendre ? Si elle ne survenait pas tout de suite. Si, soyons fous, nous trouvions un moyen de la retarder, voire de l’éviter, ou disons d’en limiter les dégâts ? Nous serions bien déçus, c’est certain. A l’image de cet astrologue dans Tintin, chapitrant son assistant qui avait mal calculé le point d’impact d’un météore censément destructeur. Mais les briques, ça flotte, fait justement remarquer le reporter belge. Et la Dette, c’est un sacré paquet de briques, précisément. Sans Fin du Monde, elle reste là, la Dette. Alors que faire ?
L’hypocrisie de nos sociétés marchandes nous interdit de donner de l’argent. Donner c’est mal, reprendre c’est mieux. Alors, quand nous acheminons des sommes plus ou moins (souvent moins) conséquentes à des pays en difficulté, nous faisons mine de les leur prêter. Bien entendu, ce sont des prêts à fonds perdus, personne n’est dupe. Et quelques décennies plus tard, lorsque cet argent a été soigneusement réparti entre les dictateurs, leurs officiers militaires et le Clergé local, lorsque le peuple a fini de sucer les quelques miettes qui ont par mégarde glissé des nappes du pouvoir, alors nous pouvons venir dans ces pays et annoncer triomphalement, ô comble de la générosité, que nous effaçons la Dette. Nous l’annulons.
Mais cela n’est possible que dans le cadre de prêts entre nations. La France n’emprunte pas d’argent à l’Ethiopie ou au Bengladesh. Elle emprunte à des organismes privés, de belles banques rutilantes, basées dans les paradis fiscaux que nous faisons mine de vouloir mettre au pas. Et les entreprises se fichent bien de la philanthropie. Il suffit d’avoir un découvert de 20 euros pour s’en taper l’équivalent en agios. Vous croyez vraiment que sur une Dette de plusieurs dizaines de milliards, et juste parce que Carla Bruni a un beau cul, les banquiers internationaux vont être tentés de faire un geste ?
L’annulation, elle ne pourrait venir que du débiteur, pas du créancier. C’est là qu’elle se niche, la solution. Imaginez la scène. Mais si, faites un effort. Nous sommes fin 2011. Nicolas Sarkozy a peur de ne pas être réélu. Il stresse. Rachida Dati lui envoie des menaces de suicide chaque jour par SMS, François Fillon grimpe dans les sondages, et Dominique de Villepin annonce (en alexandrins) sa candidature pour les Présidentielles. Il faut frapper fort, et autrement qu’avec des matraques, car entre les caméras de télévision partout dans les rues et les bâtiments publics, les portiques de sécurité et les fouilles systématiques à l’entrée des écoles, et l’installation de plusieurs usines Karcher au sein des banlieues difficiles, il n’y a vraiment rien à faire de plus en matière de sécurité. Alors, sans concertation préalable (le Ministre de l’Economie, au nom de l’ouverture, a été remplacé par l’un des chevaux de François Bayrou), Nicolas Sarkozy demande à son ami Dassault de lui confier la Une du prochain Figaro. Et fait rédiger par l’un de ses nègres un article retentissant dont le titre fort, puissant, s’étale en grasses lettres sur toute la largeur de la page : « J’ANNULE ! ».
« J’annule la Dette publique de la France. A compter d’aujourd’hui, la France ne doit plus d’argent à ses créanciers. Elle ne payera plus d’intérêts. Elle ne payera plus rien. Si tu n’es pas d’accord, alors descends me le dire si tu es un homme, ou alors casse-toi pauvre con ! »
Que voulez-vous qu’elles fassent, les banques ? Elles n’ont pas d’armée. Elles pourront toujours appeler à l’aide les autres pays, aller pleurer à l’ONU, et après ? Qui va déclarer la guerre à la France ? Barack Obama ? Poutine ? Merkel ? La Chine ? Et dans quel intérêt ? Comment espérer renflouer les caisses de ces banques orphelines de leurs gros sous en livrant à un pays une guerre qui le rendrait insolvable pour un bon siècle à venir ? Et pourquoi envoyer se faire trucider des soldats pour de l’argent qui ne finirait dans les poches de personne d’autre que de quelques citoyens mi-suisses mi-luxembourgeois, résidant dans les îles Fidji et circulant dans des voitures de luxe immatriculées à Monaco ?
La voici, la solution, à défaut de pouvoir compter sur l’effet de serre, la fonte des glaces et les rayons ultra-violets. Déformer le capitalisme mondial. Se lancer, décomplexé, vers les sommets du Gravos. Pour justifier sa décision, notre président trouvera où piller. Lui qui a su trahir Jaurès en prétendant le citer n’aura pas de difficultés pour tirer de Proudhon la substantifique moëlle de ses nouvelles orientations. Et les gens de l’Opposition seront bien en mal de le critiquer, à l’exception de Strauss-Khan, qui ne tend vers la gauche que dans son caleçon. Besancenot ne saura plus où se mettre. Krivine en fera une jaunisse, comme tous les anciens maoïstes. Et François Bayrou se sentira tellement perdu qu’il organisera un débat avec Cohn-Bendit, juste pour se défouler un peu.
« J’annule ! » et nos enfants pourront envisager l’avenir d’un air radieux, s’empressant à leur tour de fabriquer de nouvelles dettes auprès de nouveaux créanciers, car des créanciers il y en aura toujours. Pour s’imaginer que les banquiers sont moins naïfs et plus lucides que le reste des hommes, il faut vraiment n’avoir jamais entendu parler d’Edouard Stern.
L’argent est devenu virtuel. Que la Dette le soit aussi. La majorité des français jugent plus importants de donner à manger à leurs enfants que de donner de l’argent à leur banquier. Nicolas Sarkozy étant un homme à sondages, il ne manquera pas d’en tirer les conclusions qui s’imposent, si j’ose dire…
Ce sera une belle connerie, oui, probablement. Le Paquet Fiscal aussi, c’était une belle connerie. On dénonce plus volontiers les conneries qui font perdre de l’argent aux riches que celles qui n’en rapportent qu’aux pauvres, mais après tout, pourquoi pas ?
Ensemble, tout est possible ?
Alors, chiche !
Publié à l’origine sur le blog nevertrust.over-blog.com