Boris Echélèbre est étudiant en histoire du lard à l’université de la Boucherie Sanzot. Mais Boris Echélèbre est également un passionné. Féru de mécanique, il consacre une grande partie de ses loisirs à démonter des grille-pain afin d’en comprendre le fonctionnement, un objectif qu’après cinq ans de dur labeur il semble enfin sur le point de réaliser.
Également féru de ballons gonflés à l’hélium, il en collectionnait une grande quantité dans son garage avant que celui-ci ne s’envole en octobre dernier. Cependant, la vraie, la grande passion de Boris Echélèbre, c’est avant tout le palcancan-douzaïe !
Ce jeune homme, que l’un de ses professeurs nous a décrit comme : « le plus doué des aliénés qu’il ait jamais eu l’occasion de rencontrer au cours de (sa) vie morne et ennuyeuse », a vu son existence basculer le jour où ses yeux tombèrent sur l’article du Never Trust consacré au palcancan-douzaïe, étrange animal imaginaire dont nous avions tenté de décrire quelques traits de caractère dominants.
« J’étais chez moi en caleçon à surfer sur l’Internet, nous raconte t-il la voix émue. Je cherchais un site consacré au fétichisme de l’hélium quand le hasard a voulu que je découvre votre blog. La plupart des articles ne sont franchement pas drôles, rajoute t-il avec un sourire timide, mais celui sur le palcancan-douzaïe a vraiment fait basculer mon existence, ainsi que vous venez de l’écrire dans le paragraphe précédent. Cela m’a fasciné. Et je me suis lancé corps et âme dans des recherches acharnées pour obtenir plus d’informations sur cet animal ! »
C’est ainsi que Boris Echélèbre fera la connaissance de Marcel Pierre-Jean, mythozoologue réputé dans le monde des appertophiles. De nature réservée, Marcel Pierre-Jean évite généralement tout contact avec la presse, mais il a bien voulu nous recevoir dans ses toilettes pour nous parler de son jeune ami.
« Boris est un type extraordinaire ! nous déclare t-il avec enthousiasme tout en tirant la chasse. La première fois que je l’ai vu, j’ai pensé que c’était un jeune homme comme les autres, malgré sa moustache violette et ses lunettes triangulaires. Mais très vite j’ai réalisé qu’il était surtout un jeune homme comme les autres, malgré sa moustache violette et ses lunettes triangulaires. Une fois que j’ai admis que c’était un jeune homme comme les autres, malgré sa moustache violette et ses lunettes triangulaires, je me suis comporté avec lui comme je me comporterais avec n’importe quel jeune homme comme les autres, malgré sa moustache violette et ses lunettes triangulaires. Rien d’extraordinaire, en somme.
— Mais vous avez dit exactement le contraire au début !
— Pas du tout ! Vous avez certainement mal entendu, comme je tirais la chasse en même temps… »
Toujours est-il que Marcel Pierre-Jean sut mettre Boris Echélèbre sur la voie du palcacan-douzaïe. « La mythozoologie est une discipline complexe, nous explique t-il. Le cryptozoologue étudie les animaux légendaires, là où le mythozoologue les invente purement et simplement. Nous ne pouvons nous baser sur rien d’autre que sur d’abominables mensonges que nous proférons tout en gardant un calme olympien. C’est ainsi que j’ai découvert le tigre à dents de lait, la gerboise à trois têtes, le pécari-libellule et le chalsacien, un félin qui a la particularité de toujours voter pour la droite quoi qu’il arrive. Mais le palcancan-douzaïe, ça c’était quelque chose ! Il faut vraiment être gravement atteint pour inventer un machin pareil ! Boris s’en est emparé avec toute la fougue dont peut faire preuve un jeune homme ordinaire, malgré sa moustache triangulaire et ses lunettes violettes ! »
Mais alors, Boris Echélèbre, le palcancan-douzaïe, qu’est-ce donc ?
« D’abord, c’est un animal sacré. Certaines légendes pré-colombiennes, dont j’ai retrouvé des traces dans la correspondance de Groucho Marx, indique que les inuits le considéraient comme un dieu, ce qui est sensiblement fascinant dans la mesure où les colombiens et les inuits ont rarement l’occasion de se fréquenter. Des textes prétendent qu’il serait l’incarnation sur Terre du dieu des murs peints en jaune. D’autres affirment qu’il est apparu durant le chaos originel, c’est-à-dire avant l’apparition de Google. Dans tous les cas, ces écrits ont tendance à définir le palcancan-douzaïe comme une espèce de passereau, un merle pour être plus précis. Une affirmation étrange quand on connait les nombreuses différences qui résident entre ces deux espèces.
— Quelle est la différence la plus marquante entre le merle et le palcancan-douzaïe ?
— Hé bien, d’un côté le merle est un passereau de la famille des turdidés, qui, selon la latitude, peut être résident ou migrateur, partiellement ou entièrement. De l’autre, le palcancan-douzaïe n’existe pas. Je pense que c’est ce qui les différencie le plus. »
Boris Echélèbre est cependant convaincu que le palcacan-douzaïe appartient à la classe des volatiles. « Tous les textes que j’ai pu compulser s’accordent à dire que c’est un animal qui ne sait pas voler. Ce qui, évidemment, le rapproche énormément de l’autruche, de l’émeu, voire de la poule. De plus, il est ovipare : il pond des oeufs dont il fait ensuite des omelettes. Ce qui explique pourquoi l’espèce a beaucoup de mal à proliférer. »
Où le palcancan-douzaïe serait-il susceptible de vivre ? « Un jour, dans un bar, un vieil alcoolique d’origine germanique m’a affirmé que le palcancan-douzaïe résidait principalement dans la banlieue de Bruxelles. J’ai immédiatement pris le train pour me rendre compte par moi-même, et j’ai longuement parcouru la région. Je n’en ai vu aucun. Dans la mesure où c’est un animal qui n’existe pas, on peut donc en conclure que c’est bel et bien là qu’il vit ! Mais, récemment, mon psychiatre m’a affirmé que Lacan en aurait vu un jouer au golf au beau milieu du désert de Gobi. J’envisage donc prochainement de faire le voyage afin de vérifier si, oui ou non, on peut y trouver des palcancans-douzaïes. Si la réponse est non, alors ce sera oui. »
« J’envisage, continue Boris Echélèbre alors qu’on ne lui a rien demandé, d’écrire bientôt un ouvrage très documenté sur le palcancan-douzaïe. Je pensais l’appeler Le Palcancan-douzaïe, cet inconnu, comme le titre de votre article, mais comme vous venez de me menacer d’un procès pour plagiat, je pense que je l’appellerai autrement. Je veux que le monde entier sache que le palcancan-douzaïe n’existe pas. Je pensais le proposer aux éditions Bayard : ils publient énormément de livres sur Dieu, alors pourquoi pas sur le palcancan-douzaïe ? Dans les deux cas, ils n’existent pas, et en plus le palcancan-douzaïe n’a, lui, jamais tué personne ! »
Le Never Trust ne manquera pas de vous tenir informé des progrès de Boris Echélèbre. Ou non. On verra. On a une vie, nous aussi. Faut pas déconner non plus.
Zut alors !
Publié à l’origine sur le blog nevertrust.over-blog.com