Le monde tremble face aux Anonymous, ces chevaliers anonymes des temps modernes qui n’hésitent pas à porter le glaive partout où règne l’injustice. Voici quelques temps, David Assange et son site Wikileaks décidèrent de mettre en ligne des documents diplomatiques tenus secrets par le gouvernement Américain. S’y trouvaient des informations que tout le monde savait déjà, ce que ni Wikileaks ni le gouvernement Américain ne savaient.
Ne sachant pas que nous les savions, les Américains n’eurent de cesse que de pourchasser Assange, coupable donc d’avoir porté à notre connaissance toutes ces choses que nous connaissions. Comme souvent, les têtes pensantes de l’administration U.S. firent preuve d’une phénoménale sagacité, en considérant que nous cesserions immédiatement de savoir ces informations secrètes que nous savions déjà une fois que nous saurions David Assange derrière les barreaux. Pour cela, rien de tel qu’une bonne grosse accusation de viol, de « viol par surprise » plus précisément, formule employée lorsque l’on se fait violer sans le savoir.
En réaction à cette chasse à l’homme rocambolesque, qui n’eut pas d’autre effet que de transformer David Assange en un personnage de roman d’aventures à faire se pâmer chaque midinette au petit coeur, toute une ribambelle de hackers, de pirates, de cyber-criminels, bref une jolie bande de nerds et de geeks en tout genre attaquèrent sans relâche les sites internet des administrations ou des entreprises coupables d’avoir collaboré à la traque. — Et comme ils discutaient entre eux via des réseaux sociaux en conservant un prudent anonymat, on les a appelé les Anonymous.
Et les Anonymous ont récemment récidivé en s’attaquant à Sony, pour défendre le surdoué de service (il y en a toujours un) qui avait trouvé le moyen de hacker la Playstation 3, présumée pourtant inviolable. C’est moins grave que de divulguer des confidences diplomatiques, mais ça intéresse plus de monde.
Et en France, qu’en est-il ? Hé bien en France aussi nous avons nos Anonymous, et ils font de la politique. Ainsi, pour les récentes élections cantonales, le Front National présentait comme candidate d’un canton de Seine-et-Marne une madame Véronique Bayle, qui n’indiquait là que son nom de jeune fille, refusait de se faire prendre en photographie et de rencontrer des journalistes, arguant selon ses propres mots qu’elle désirait « rester anonyme ». Elle a tout de même trouvé le moyen de se retrouver au second tour, ce qui en dit long sur la clairvoyance d’esprit des gens qui votent pour le Front National, mais n’a pas été élue, sans doute à son grand soulagement.
Plus proche de nous encore, dans le temps du moins, Marine Lepen a présenté le programme économique de son parti, qui est tellement rigolo qu’on a presque envie de voter pour elle rien que pour la regarder essayer de l’appliquer. Elle était à cette occasion entourée de « spécialistes » qui, là encore, n’ont pas désiré décliner leur identité. Anonymes, malgré leurs idées révolutionnaires pour ramener la France cinquante ans en arrière en l’espace d’un quinquennat. De grands modestes, en somme.
Quand on connait les origines politiques du Front National, on se s’étonnera évidemment pas de voir une telle propension à l’anonymat. Après tout, les lettres de dénonciation adressées à la Kommandantur n’étaient que très rarement signées. Il est cependant amusant de constater qu’aujourd’hui, cette tradition tellement française rencontre une mode internationale. Faisant du neuf avec du vieux, soufflant un vent de modernité en attisant un pet de l’Histoire, le Front National ne manquera probablement pas de se vanter de cette coïncidence.
On pourrait, au risque de les peiner, faire remarquer aux gars de la Marine qu’un parti qui veut se donner une image respectable, qui veut se présenter comme un organe politique susceptible d’accéder aux plus hautes fonctions de l’Etat, n’est que moyennement crédible lorsque ses militants ou ses technocrates annoncent préférer l’anonymat. On imagine mal une photo de gouvernement avec des ministres aux visages floutés, ou des interventions à l’Assemblée Nationale de députés vétus d’une cagoule noire et d’un modificateur de voix portatif. — « Ministre des Sports et de la Jeunesse : monsieur X. Ministre des Départements et Territoires d’Outre-mer : madame Y… » Ça ne ferait décidément pas sérieux.
Et pourtant l’anonymat est vraiment à la mode. La preuve : l’autre jour encore, Kadhafi est allé parader dans les rues de Tripoli avec des lunettes noires.
Est-ce en réaction à cette vogue qui, dans le domaine politique, ne peut objectivement qu’apparaître néfaste, que Nicolas Hulot a choisi de se présenter comme candidat écologiste pour les Elections Présidentielles de 2012 ? On ne peut pas faire plus anti-anonyme que Nicolas Hulot. Il est connu. Très connu. Voire trop connu. Parce qu’on n’ignore rien de ses amitiés avec Chirac, parce qu’on se souvient de sa naïveté béate face aux candidats de 2007, parce qu’on connait ses affinités avec quelques-uns des plus grands pollueurs de France et de Navarre. Et parce qu’en fin de compte, rien n’indique que les écologistes aient réellement envie de voter pour Europe Ecologie-Les Verts-Ushuaïa. En tout cas, chez les Verts, l’accueil est relativement froid. Ils sont même nombreux prêts à tout pour lui mettre des batons dans les roues. C’est du Joly !
Nous autres, au Never Trust, qui sommes plus anonymes encore que n’importe qui d’autre, nous ne sommes pas enchantés à l’idée de voter pour quelqu’un de tellement célèbre, en tout cas. Distance et confiance font bon ménage, sinon Strauss-Khan ne serait pas aussi populaire. Le grand mérite du patron du FMI aux yeux des français, c’est qu’il est loin. Pour mener à bien des réformes dans ce pays, il nous faudrait un gouvernement en exil. On constatera d’ailleurs que l’un des concurrents déclarés de DSK, le bien connu François Hollande, s’est échiné à perdre cent kilos pour s’assurer que plus personne ne le reconnaisse. Il ne reste plus à Ségolène Royal qu’à se faire refaire le pif et à Martine Aubry de se coller des seins en silicone et la primaire socialiste aura enfin de la gueule…
Pendant qu’à l’Elysée, celui dont nous ne savons que trop qu’il vaut mieux ne pas trop en savoir se prépare à une réelection qu’il « sent bien », selon ses dires. Il est à peu près le seul, mais il est vrai aussi qu’il n’est pas à la même hauteur que les autres. Il fait la guerre un peu partout pour se rappeler à notre bon souvenir, alors qu’il aurait sans doute tout intérêt à se faire oublier.
Mais dans tous les cas de figure, il fait partie de ces nombreux anonymes dont on se rend vite compte, mais toujours trop tard, qu’ils ne gagnent pas à être connus.
Publié à l’origine sur le blog nevertrust.over-blog.com