D’abord, c’est l’histoire d’un ministre. Il s’appelle Mitterrand. Il s’appelle Mitterrand parce qu’il est le neveu de l’autre, celui qui a été président. Et si l’on peut reprocher plein de choses à son tonton président, on ne peut pas lui enlever ceci : même dans ses périodes les plus étranges où il s’encanaillait avec des ridicules façon Tapie, jamais il n’a été tenté de nommer son Frédéric de neveu au Ministère de la Culture.
Mais Sarkozy l’a fait. Il voulait un Mitterrand dans son équipe, question d’ouverture, le nom qui prime avant tout le reste. Alors Frédéric Mitterrand est devenu Ministre de la Culture, et depuis c’est pas triste.
Ensuite, c’est l’histoire d’un réalisateur. Il s’appelle Polanski. Il n’a pas eu une vie facile, mais en même temps il est né en Pologne, et ceux qui choisissent de naître en Pologne, tout de même, ils cherchent un peu les emmerdements. Il a vécu aux Etats-Unis. Il y a même épousé une très belle jeune femme mais le mariage s’est soldé par un échec le jour où la très belle jeune femme a servi de cobaye pour les autopsies paramédicales pratiquées par Charles Manson et sa bande de joyeux Freak Brothers. Et puis, un soir, en 1977, après avoir beaucoup bu et ingéré des produits que la morale réprouve, Polanski a eu la très mauvaise idée d’avoir des relations sexuelles avec une trop jeune fille. N’ayons pas peur des mots : treize ans, c’est trop jeune. Et en plus, ça porte malheur. Et voici que ce réalisateur talentueux, peut-être génial, se vautre dans une comédie de bas-niveau, façon : « Chérie, j’ai élargi la gosse ! »
Et voici qu’il doit quitter les Etats-Unis, Polanski. Parce qu’on l’accuse d’un viol qu’il nie avoir commis, et qu’on lui promet quelque chose comme cinquante années de prison, alors qu’il avait fait d’autres projets pour le demi-siècle à venir. Il est venu vivre en France. Il n’a violé personne. Il n’a pas enterré de cadavres de petites filles dans son jardin. Il s’est marié normalement, comme tout le monde. Il a fait des enfants normalement, comme tout le monde. Il est devenu membre de l’Académie des Arts, normalement, comme tout le monde. Et puis trente ans après il se fait arrêter en Suisse, parce que les Etats-Unis n’en ont pas fini avec cette histoire. Ce sont bien les seuls, mais ce sont eux qui font la loi. Sauf en Irak ou en Afghanistan, évidemment.
Alors notre ministre de la Culture se répand dans la presse pour voler au secours de Polanski. Et parmi ses déclarations, que le Never Trust, à son grand regret, n’arrive pas pour le coup à trouver mauvaises, il nous explique qu’il soutient Roman Polanski, à l’image du gouvernement dont il fait partie, et selon ses dires à l’image de tous les français. Et c’est là qu’il dit une connerie, Mitterrand. Encore une. Parce que Frédéric Mitterrand, un français, il ne sait pas à quoi ça ressemble. Un français pour Frédéric Mitterrand, c’est un bonhomme qui porte un smoking et une coupe de champagne, et qui pérore sur la déchéance culturelle dans laquelle sombre notre société. Aux yeux de Frédéric Mitterrand, les français ce sont des gens qui jouent dans des films ou qui en réalisent, qui écrivent des livres, qui peignent des choses, et qui passent à la télévision. Le français qui boit son café le matin au comptoir, avec sa chemise mal repassée à moitié sortie du pantalon, il n’a vu cela que dans les feuilletons où joue son beau-tonton Roger Hanin, Frédéric Mitterrand.
Et le problème, c’est que ce français-là, il n’en a rien à fiche de Polanski. D’abord il n’a pas vu beaucoup de ses films. Ce n’est pas le genre de TF1 ou de France 2 de diffuser Le Bal des vampires ou Répulsion à une heure de grande écoute. Le Pianiste, à la rigueur. Mais c’est moins larmoyant que La Liste de Schindler et moins burlesque que La Vie est belle, alors dans l’ensemble on évite tant qu’on peut.
Ce français-là, tout ce qu’il voit, c’est : « relations sexuelles avec une mineure de treize ans ». Et ça lui suffit. Ça lui suffit pour prononcer le mot que tout le monde attendait, celui qui fait frémir, celui qui fait pleurer dans les chaumières et ruer dans les brancards toutes les bonnes âmes nourries au grain du pays : « Pédophile ! »
Il ne les a pas lus, les commentaires des internautes, Frédéric Mitterrand. Sinon il ne viendrait pas nous dire que tous les français sont derrière celui qui est devenu leur compatriote par la force des choses. Ce qu’il lirait, c’est un merveilleux déferlement de haine. « Polanski pédophile ! Enfermez-le ! Qu’il soit jugé ! Cinquante ans, c’est pas assez ! Qu’il crève, Polanski ! C’est pas parce qu’il est riche qu’il doit avoir un traitement de faveur ! C’est pas parce qu’il est pas comme nous, les pov’ gens que nous sommes, les damnés de la terre, qu’il doit pas aller en prison ! C’est un pédophile ! C’est un pédophile ! Et puis en plus, ses films ils sont même pas bons ! »
Tout comme il aura fallu attendre que Bertrand Cantat envoie valdinguer sa gonzesse dans les pâquerettes pour entendre des gens se flatter de ne pas aimer les chansons de Noir Désir, eux qui jusqu’ici ruminaient dans l’ombre sans oser avouer leurs goûts musicaux parce que ça ne faisait pas bien auprès des potes ou, pour les plus célèbres, dans les médias, voilà qu’il est donc du meilleur ton de ne PAS aimer les films de Roman Polanski. Vous comprenez, c’est un pédophile. Aimer ses films, déjà, c’est suspect, vous ne trouvez pas ?
Sauf que Polanski n’est pas un pédophile. Sauf que rien n’indique qu’il soit atteint de cette pathologie. Sauf que rien n’indique qu’il soit une menace pour qui que ce soit. Sauf que rien n’indique non plus qu’il puisse mériter de finir ses jours en prison pour une histoire dont même la principale intéressée, la jeune fille de treize ans de l’époque, demande à ce qu’elle soit oubliée une bonne fois pour toutes.
Ecoutons ensemble le chant des hululeurs. Ils proclamaient qu’il fallait couper la tête du juge Burgaud, et les voici qui font encore pire que lui : qui jugent sans même avoir en leur possession un gramme de dossier, un soupçon de témoignages, une pincée d’information. Mélanger des histoires de moeurs sur des mineures avec du bon populisme puisé à la source et voilà ce que cela donne : des milices verbales, de l’indignation de bonne soeur, et pour finir un imbécile au milieu qui réclame le rétablissement de la peine de mort. Des Burgaud en puissance. Et fiers de l’être parce que convaincus qu’ils ont affaire à un pé-do-phi-le.
Alors, tout ce que l’on peut conseiller à Roman Polanski, c’est d’essayer d’attraper la grippe A de toute urgence. On le mettra en quarantaine et ce sera toujours ça de gagné pour retarder son extradition, si extradition il doit y avoir. Pour le reste, non, hélas, Frédéric Mitterrand devra se faire une raison : tous les français ne sont pas derrière Polanski. Beaucoup font ce qu’ils font toujours : ils parlent pour ne rien dire, ils ne prennent pas la peine de savoir, ils se vantent d’ignorer ce qu’on leur explique, et au final ils se trompent sur toute la ligne et en éprouvent même de la fierté. Il aurait tort de leur en vouloir, Mitterrand : sans eux, jamais Nicolas Sarkozy n’aurait été élu Président, et jamais il n’aurait eu l’occasion d’enfiler une redingote ministérielle.
Que Polanski, voilà trente ans, ait commis une abominable connerie, pénalement condamnable et moralement déplorable, on ne peut pas vraiment le nier. Réclamer aujourd’hui cinquante années de prison pour cette même connerie, parce que soudainement cela refait la une des journaux, cela relève d’une incompétence intellectuelle crasse. Et ça non plus, on ne peut pas vraiment le nier.
Et voici que Sarkozy, fervent partisan de l’extradition vers l’Italie d’anciens terroristes d’extrème-gauche depuis longtemps amendés, va devoir faire des pieds et des mains pour tenter de négocier la liberté de Polanski avec les Etats-Unis. Contre l’avis d’une bonne majorité de ses électeurs et de ses sympathisants. C’est bête, non, la démagogie ? quand ça vous revient dans la figure comme un boomerang…
Pour se sortir de ce nouveau petit pétrin qui vient s’ajouter à tous les autres, la Crise, le Déficit, la privatisation de la Poste, la Taxe Carbone, et tout le reste, il ne lui reste plus qu’à nous inventer une deuxième grippe. Parce qu’une seule n’y suffira plus. On l’appellera la Grippe B. Ça fera parler dans les rédactions, et les commentateurs internautiques auront l’occasion de feuler sur le harcèlement des médias et la façon dont on nous cache les vrais problèmes. Car c’est bien souvent là leur crédo, à tous ces braves gens qui donnent leur opinion sur tout sans jamais prendre la peine de réfléchir : « les vrais problèmes ».
A la manière d’un microbe qui se plaindrait d’être malade.
Mais quoi que l’on pense de cette histoire, et quoi que l’on pense de Polanski en tant qu’homme, il serait triste d’oublier ses films. Ce sont souvent des chefs-d’oeuvre. Alors, au moins, faites que l’on ne jette pas le bébé de Rosemary avec l’eau du bain.
Publié à l’origine sur le blog nevertrust.over-blog.com