L’émotion. Après la diffusion d’un cliché montrant un enfant syrien de trois ans échoué sur une plage de Turquie, un grand élan de solidarité a gagné l’Hexagone. Ils sont des milliers à avoir contacté les associations d’aide aux migrants pour faire savoir qu’ils étaient prêts à accueillir la dépouille de l’enfant, ainsi que celles de son frère et de sa mère.
« Avant, je n’en avais strictement rien à carrer des migrants, nous confie Simone, directrice en marketing de stratégie de communication positive d’entertainment productif. Mais quand j’ai vu la photo de ce petit enfant, je me suis dit qu’il ressemblait terriblement aux nôtres. Il a même des baskets aux pieds ! »
Petit migrant
Comme des milliers de Français, Simone a donc envoyé un courriel à une ONG pour faire savoir qu’elle était prête à accueillir le cadavre de l’enfant. « Je m’engage à lui apporter tout l’aide et le soutien qu’il n’aurait jamais pu obtenir de son vivant », écrit-elle avec une émouvante solennité.
Mais elle n’est pas la seule. « Nous avons reçu beaucoup de messages similaires, nous dit le responsable d’une association sur le terrain. Nous expliquons aux personnes qu’accueillir l’enfant mort n’est pas possible et leur suggérons de faire de même avec des familles de migrants bien vivantes. En général, nous ne recevons plus aucune réponse. »
Simone le confesse : « C’est vrai que recueillir des migrants vivants, c’est autre chose. Je ne suis pas raciste, mais j’aurais toujours peur qu’ils profitent que j’aie le dos tourné pour piller mon frigidaire et me voler mon emploi. Vous comprenez, avec mes 4.000 euros mensuels et la hausse de la CSG, je ne peux pas accueillir toute la misère du monde ! »
D’autres messages sont plus explicites : « Les migrants ils sont sales, ils se ressemblent tous, ils parlent une drôle de langue, et puis ils ont l’air déprimants. Alors qu’il est tellement chouquinou le petit bout de chou échoué sur la plage. On ne veut que lui et personne d’autre ! », écrit ainsi un internaute sous le pseudonyme de Love&Peace2015.
Syrie Kiki
Face à l’émotion, d’autres voix se font néanmoins entendre. « D’accord, il est mort. Mais des millions d’enfants sont morts depuis le début de l’humanité, et encore plus si on prend en compte les enfants qui sont devenus des adultes ! » peut-on lire sur Facebook. Ou encore : « Moi, ce qui me choque, c’est que ce petit Syrien est clairement habillé avec des vêtements issus de l’exploitation de petits Bangladais ! »
Au Front National, on veut marquer de la distance. Gilbert Collard a ainsi joué la carte de la franchise sur France Info : « Je ne veux pas faire l’hypocrite et prétendre que cette photo m’émeut. Je n’en ai rien à foutre de ce mioche. Le FN est un parti d’enculés sans coeur qui ne s’intéresse absolument pas aux soucis des crève-la-faim. C’est ce discours de vérité que nos électeurs réclament. Le discours d’un parti mature et respectable. »
Et le député mariniste de conclure : « Ces migrants sont tous des terroristes en puissance. Je suis d’ailleurs surpris de voir les images d’un policier prenant dans ses bras le cadavre de ce petit garçon. Il aurait très bien pu être piégé. La sécurité aurait voulu qu’on le confie à des démineurs, ainsi qu’on le fait avec les bagages abandonnés dans les gares et les aéroports. »
Reste, dans l’histoire, l’étonnante frilosité des titres de presse français, qui se sont refusés à publier la photo de l’enfant mort alors que celle-ci fait la une de toute l’Europe. Les rédactions de Libération, du Figaro et consorts ont toutefois fait leur mea culpa, et annoncé qu’ils publieront dans leurs éditions de demain, « en signe de solidarité autant que dans un souci d’information sans concession », des photos pleine page de chatons tristes.